Soeur Marie Bertrand DOMMEE
Première d’une fratrie pendant de longues années, tu accueilleras avec joie un petit frère, Bertrand et une petite sœur Hélène dans ces années marquées par la seconde guerre mondiale.
Tu aimes les études, même si parfois tu fais l’école buissonnière. Le Collège, le lycée Berthelot, c’est bien mais tu es attirée aussi par le cinéma, les bibliothèques, la musique, la sortie avec les amis, les arts ; ton éducation a développé en toi le goût du beau, de l’authentique.
Après ton baccalauréat, tu mets à exécution ton désir de soigner, d’aider d’une manière ou d’une autre ceux qui sont en souffrance. Ce sera l’Ecole d’Infirmières au Mans et l’obtention de ton Diplôme d’Etat en 1951. La clinique chirurgicale du Pré, au Mans, est en recherche d’infirmière pour pallier au départ de Sœur Saint Bruno, envoyée à Ceylan, pour soigner les tuberculeux à l’Hôpital de Welisara. Tu poses ta candidature qui est acceptée et tu deviens la première infirmière laïque dans cet établissement. Tu as ton appartement en ville, tu as un bel avenir devant toi, mais un autre appel reste lancinant, celui de suivre le Christ dans la vie religieuse contemplative ou apostolique ? Ta fibre soignante te fera pencher vers la Congrégation des sœurs de la Providence de Ruillé. Tu en franchiras la porte le 3 novembre 1958.
Le 3 mai 1961, tu feras profession et le 8 septembre 1966 scellera ton engagement définitif dans la Congrégation.
La vie religieuse ne parle pas de carrière mais de SERVICE, peu importe, tes obédiences resteront dans le domaine hospitalier. En mai 1961, tu arriveras à Orléans à la communauté de la Providence, réputée pour être au milieu des plus démunis. Le service Sainte Catherine, avec sa salle commune sur trois rangées sera ton premier poste. A cette époque la sœur infirmière a sa chambre dans le service. Une quarantaine de personnes vivent tant bien que mal le quotidien des gens exclus d’une société en plein essor. Tu auras à cœur de les aimer, de leur prouver qu’ils restent des personnes humaines à part entière et qu’ils comptent à tes yeux. Cette attitude leur ira droit au cœur et ils te voueront à leur manière une grande reconnaissance. Tu es alors leur rayon de soleil.
A leur grand désespoir tu quitteras le service pour l’école des cadres à Paris. Tu reviendras à Orléans en octobre 1962 avec ton diplôme, mais ce sera pour le service Jeanne d’Arc appelé aussi « service des Contagieux », un service dur avec ses poumons d’acier, ses pathologies lourdes de poliomyélite, de tétanos entre autres.
En 1970, ce sera l’Hôpital de Neuville, puis en 1974 la Maison de Retraite de Brûlon. Un passage difficile ou l’appel à la vie contemplative te taraude. Tu as pris un engagement dans la Congrégation et tu demeures fidèle à celui-ci. Tu garderas toujours un lien particulier avec les Sœurs trappistines à Laval
En 1977, tu reviens à la chirurgie, à la Clinique du Pré, que tu connais bien mais qui a changé, qui s’est tenue au fait des nouvelles techniques opératoires. Tu resteras jusqu’en 199O, date du transfert de la clinique sur un autre lieu pour répondre aux besoins croissants en espace, en nombre de patients, en exigences opératoires. Tu es alors retraitée sur le plan administratif, mais pas en tant que sœur de la Providence. Après un « recyclage » au SIET à Rennes, tu retrouveras un secteur que tu aimes, la proximité avec les blessés de la vie. L’Etape vient de s’ouvrir au Mans sur le lieu de l’ancienne buanderie de la Clinique du Pré. L’Etape, lieu d’hébergement, de vie, pour des personnes marginalisées, plus particulièrement des jeunes parents avec enfants, là encore, tu donneras le meilleur de toi-même dans ce domaine associatif en lien avec les autorités administratives.
Tu fais partie alors de la communauté de la rue Gallouedec au Mans. Ton attrait pour la musique, le chant, te conduisent tout naturellement à faire partie de la chorale de l’Eglise du Pré que ta consœur Cécile dirige avec ardeur. Il y aussi l’aumônerie au Centre Georges Coulon au Grand Lucé, plus spécialement le secteur des Soins palliatifs, la tenue du standard à la maison généralice, entre autres services. Les années passent, la santé défaille mais tu laisses cela dans l’ombre. Un jour viendra où il faudra regarder la réalité en face, où plutôt laisser l’entourage prendre des dispositions difficiles pour toi à accepter. Une hospitalisation s’impose en janvier 2020, suivie d’une arrivée à la communauté de la Maison Mère ; ta personnalité, ta soif d’indépendance, ton refus d’aide, d’être à charge te conduiront au dépassement de tes limites. Le 31 janvier 2021, un dimanche, sera comme un ultimatum, il faut te rendre à l’évidence que cela ne peut continuer en l’état. Direction Dujarié ! et dans l’heure qui suit tous les aspects de la grande dépendance. Les jours qui suivront seront difficiles, douloureux mais tu resteras stoïque, sans te plaindre, reconnaissante envers le personnel que tu trouves compétent et humain, et venant de ta part, c’est un éloge. Le « faites pour le mieux » est devenu un « je n’en veux plus, je n’en peux plus » ces derniers jours. Le 25 février dans la matinée, heureuse de savoir Hélène, ta sœur en route pour venir te voir, tu quittais ce monde en paix. Tu ne l’as pas attendue mais tu savais au-delà du temps qu’elle était là ainsi que tous les tiens.
Pour moi, tu fais partie de mon histoire depuis 60 ans, malgré des flux et des reflux tu as été et tu resteras une personne unique. Depuis ma vie d’étudiante à la Croix Rouge d’Orléans, dans mes choix de vie, ton respect, tes conseils, ta discrétion ont toujours été là ; Ta présence auprès des parents broyés par mon choix de vie religieuse ont tissé des liens avec la famille et permis de cheminer un jour vers une acceptation. Tu avais conquis mon père par ton attitude, ton souci du beau, du vrai, ton sens de la parole donnée qui ne se reprend pas. Femme de caractère, tu l’étais même si ce caractère était parfois difficile, tu aimais la liberté, tu ne supportais guère et même pas du tout que l’on se mêle de tes affaires, tu pouvais être têtue, butée, intransigeante, exigeante, perfectionniste mais tellement ouverte, à l’écoute, raffinée par ta culture, ta soif de connaissance, ton souci de l’autre, ta discrétion à toute épreuve que cela dépassait ce côté parfois abrupt de ta personnalité.
Tu avais le sens de la liturgie, de la psalmodie et le chant devenait pour nous source de joie, de paix, véritable osmose dans le ton mais surtout dans ce rapprochement vers Celui que nous cherchions et qui un jour du temps nous avait mises sur le même chemin. Nous savions que la voix pouvait être porteuse de beau et mener à la prière. La voix aujourd’hui s’est éteinte, la volonté a lâché prise, la souffrance aussi. Dans la paix tu es entrée et c’est là avec tous ceux qui ont cheminé avec toi que nous te retrouverons.
Pour ta vie donnée au service des autres, ta richesse spirituelle partagée avec ceux et celles qui le voulaient, ta capacité d’écoute et ta discrétion dans ce qui t’était confiée, ta vaillance dans l’épreuve de la maladie, nous te disons MERCI et A Dieu !
Sr Henri Dominique